Perdre son ancre, ça c’est fait !

Gros temps à Carriacou

Quand on tient, ou plutôt essaie de tenir un blog de voyage, plusieurs questions se posent et des contraintes apparaissent. La première de ces contraintes est la régularité de publication. Outre qu’il est difficile de trouver facilement des connexions internet suffisamment stables et offrant un débit minimum en vue de poster des photos, il faut aussi trouver le temps de rédiger, trier les images, sans parler du fait que l’inspiration et la motivation ne sont pas toujours au rendez-vous. On cède vite à la facilité Facebook, quelques mots et photos rapidement et facilement publiés, même sur de médiocres réseaux wifi. Dès lors, plus le temps passe, plus la motivation à écrire diminue. Le blog prend la poussière, ceux qui venaient jeter un oeil pour y trouver de nouvelles publications, frustrés de ne rien trouver, finissent par abandonner. Parfois, certains sujets peuvent revenir plus tard et susciter un billet alors que l’événement est passé depuis longtemps.

J’aime aussi prendre un peu de recul avant de narrer certaines choses. Enfin, si certains parviennent à écrire en navigation, j’en suis incapable. Je déteste écrire à la main (j’écris tellement bien que je suis bien souvent incapable de me relire), quant à tapoter sur un clavier d’ordinateur quand le bateau avance, roule, tangue et gite, cela revient à vouloir taper un SMS sur un portable tout en conduisant en ville en essayant de régler l’autoradio.

C’est assez rare, mais il arrive qu’on ait ce genre de météo 3 ou 4 jours de suite.

L’autre question qui finit immanquablement par se poser est : faut-il tout dire, tout raconter, et en particulier les tuiles et autres galères sans lesquelles la plaisance ne serait pas ce qu’elle est ? Celles et ceux qui voyagent en bateau et laissent famille et amis sur la terre ferme sont confrontés tôt ou tard à ce dilemme. Il convient de trouver un juste équilibre entre relater un drame évité de justesse et s’inscrire dans une forme de bisounoursisme béat où tout est parfait, sans accroc ni problème. La vie à bord, comme la vie à terre, est faite de hauts et de bas, de moments merveilleux et magiques, comme d’emmerdements sans fins, de petits plaisirs ou de passages à vide, même si cela peut paraître indécent d’en parler quand on vit au soleil sans autre préoccupation que d’aller d’un endroit où on a rien à faire à un autre endroit où on a encore rien à faire. Sauf que justement, sur un bateau, on a toujours quelque chose à faire, entre contrôles, entretien, réparations, ménage, courses et bien évidement tout ce concerne la navigation. Comme à la maison, en fait, sauf que sur la terre ferme, la maison ne bouge pas. Enfin, en principe.

25 noeuds de vent et de quoi remplir l’annexe d’eau en une demi-journée

Mon ami Gwendal, rencontré au Marin et qui vient de s’installer au Guatemala a un avis assez tranché sur la question. A savoir que tenir un blog pour n’y parler que d’eau turquoise, de gentils dauphins de merveilleuses rencontres tout en laissant soigneusement de côté les problèmes, les doutes, les galères et les imbéciles n’est d’aucun intérêt. J’ai tendance à être assez d’accord avec lui. Jusqu’ici, à part une ou deux petites choses, j’ai soigneusement éviter de raconter ces inévitables moments où on frôle le danger, où la peur surgit, ou quand on a envie de tout envoyer balader, vendre le canot et rentrer à la maison. Vivre sur un voilier est magique à bien des égards, mais c’est tout aussi astreignant que la vie à terre. Il y a aussi le fait que raconter ses soucis en janvier-février quand on barbote dans de l’eau turquoise à 29° aux Antilles alors que ceux restés en Europe se tapent des mètres de neige, les brouillards givrant, les pannes de chauffage et autres joyeusetés semble parfois indécent. Il y a surtout et avant tout le fait qu’on ne veut pas inquiéter les très proches.

Notre ancre à l’état de neuf. Bon, je ne l’ai jamais vue dans cet état, mais c’est l’une, si ce n’est la meilleure ancre tout terrain sur le marché. Plus ça tire, plus ça tient.

Cela dit, pour revenir au sujet du titre de ce billet, nous avons réussi à perdre notre ancre ! Et visiblement, nous ne sommes pas les premiers à qui ça arrive. Après avoir récupéré Azymuthe à Grenade, nous montons gentiment sur Carriacou où nous allons retrouver nos amis Romain et Aurore Toulemonde-Janty (si si, ils s’appellent vraiment comme ça) et leurs enfants Lucie et Jules. Début mai 2018, à la fin des travaux de remise en état du bateau pour cause de Mariatite aigüe, je demande à Romain, excellent gréeur professionnel, de bien vouloir me contrôler le gréement. A cause des conditions météo défavorables, il ne peut finir ce contrôle. Rendez-vous est donc pris pour notre retour en octobre.

Nous arrivons dans le mouillage de Tyrell Bay, lequel est bien encombré. On jette l’ancre où on peut, mais le mouillage ne tient pas, on dérape et on doit en catastrophe remonter l’ancre et filer ailleurs. L’alizé est assez violent, puisque malgré la relative protection qu’offre le relief de l’île, il avoisine les 25 noeuds. Autant dire que ça brasse et que les chaines tirent tout ce qu’elles peuvent sur les ancres et corps-morts. Véro est à l’avant du bateau et remonte gentiment la ligne de mouillage (merci le guindeau(1) électrique), tandis que je reste à la barre, essayant de garder Azymuthe dans l’axe du vent et avançant légèrement pour soulager la chaine et le guindeau. Tout se passe bien jusqu’au moment où j’entends le bruit caractéristique de l’ancre qui arrive sur le davier(2).

Voilà ce qu’il aurait fallu avoir, un truc galvanisé qui finit par rouiller, mais beaucoup plus résistant.
Voilà ce qu’on avait comme émerillon.
Un truc bien brillant en inox mais peu résistant.

Et là, un claquement, un gros plouf et les cris de Véronique qui hurle qu’on a perdu l’ancre. « Comment ça, on a perdu l’ancre ? » « Oui, oui, on a perdu l’ancre. la chaine s’est cassée et l’ancre est retombée au fond de l’eau ! » « M’enfin, ça casse pas comme ça, une chaine ! ». Véro se précipite pour relever le point GPS de l’endroit où on est et moi je me dépêche de sortir du mouillage et m’éloigne des autres bateaux. Je commence à tourner en rond, histoire d’envisager une ou des solutions. La première et la plus logique, aller s’amarrer au ponton flottant du chantier, mais ça, franchement, je n’en ai pas envie du tout ! On a quitté le chantier au début mai, en état de guerre ou presque avec Keith, manager du lieu et incompétent notoire. Devoir aller quémander un amarrage vers ce crétin à qui je ne donnerais pas une brouette de sable à surveiller est au-dessus de mes forces. Bon, alors on fait quoi ?

Entretemps, et nous avons une chance inouïe, Aurore a assisté à la chose depuis son bateau (Tiki) et a repéré où l’ancre a coulé. Elle nous propose de venir se mettre à couple(3) avec eux, mais vu la différence de taille des deux voiliers et la violence du vent, je suis persuadé que l’ancrage de Tiki, beaucoup plus léger et court qu’Azymuthe, ne tiendra pas. Romain, qui est arrivé vers nous avec son annexe, pense la même chose et propose qu’on aille prendre une bouée libre un peu plus loin. Ce qui me permet de découvrir qu’il y a des bouées visiteurs (payantes) à Tyrell Bay. Bon à savoir. Et nous voilà provisoirement en sécurité. Ca tabasse toujours pas mal, mais au moins on ne dérape plus. Espérons que la chaine et le corps-mort tiendront. Ne reste plus qu’à récupérer notre ancre qui, heureusement, ne repose qu’à 4 ou 5 mètres de fond. Le temps qu’on aille sur Tiki, Aurore a trouvé et localisé l’ancre. Romain plonge avec un bout pour l’attacher, plongée que mes problème auditifs m’interdisent de faire. Cinq minutes plus tard, notre ancre est bien à l’abri dans l’annexe. On a eu chaud ! Pour plusieurs raisons.

Ce qu’il reste de notre émerillon

Si j’ai bien une ancre de secours sur Azymuthe, elle n’est pas de très bonne qualité et sert surtout comme mouillage secondaire. Je n’ai jamais eu besoin de l’utiliser jusqu’ici et si je peux continuer comme ça, c’est parfait. Je suis donc ravi de récupérer cette excellente ancre Spade qui ne m’a jamais fait défaut jusque là. Enfin, je n’ai rien à reprocher à l’ancre, en l’occurrence. Sa perte, est due à une rupture de l’émerillon entre la chaine et l’ancre. Installé neuf juste avant mon départ de Port-Camargue, il aura tenu trois ans. A cette occasion j’apprends que ces émerillons de chaine doivent être changés chaque année par sécurité préventive, et ça, je ne le savais pas. Pas besoin de chercher plus loin, ce qui est arrivé était quasi programmé. De plus, les émerillons de chaine sont littéralement le maillon faible de la ligne de mouillage. Certains investissent dans des chaines renforcées, des super ancres et affaiblissent toute la ligne en ajoutant un émerillon. C’est exactement ce que j’ai fait. Exit donc cette pièce qui a depuis été remplacée par une simple manille galvanisée. Pourquoi ajouter un émerillon ? Le but est d’empêcher la chaine de s’enrouler sur elle-même et de faire des noeuds. Ça arrive dans certains mouillages si le bateau pivote autour de l’ancre (typiquement dans le mouillage de St-Pierre en Martinique). Beaucoup de plaisanciers ayant vécu la même mésaventure sont revenus à la manille et tant pis pour les éventuels noeuds.

Rétrospectivement, on aurait pu perdre l’ancre en navigation (d’ailleurs depuis lors, on l’assure différemment) par des centaines ou des milliers de mètres de fond. Dans ces conditions, à moins d’appeler Picard et son bathyscaphe à la rescousse, c’est adieu l’ancre. Comme elle coûte presque 1’000.- €, autant dire que je suis ravi de ne pas avoir à la racheter. Ça, c’est le cas de figure contrariant qui te met de mauvaise humeur pour deux jours, mais c’est un moindre mal. Compte tenu du vent qu’on avait à Carriacou, l’émerillon aurait pu casser pendant la nuit alors que nous dormions. Et vu le nombre de bateaux derrière nous, je n’ose même pas imaginer la partie de bowling que ça aurait pu donner. Pour avoir vu les dégâts causés par un bateau dérapant et entrant en collision avec un autre, je suis très soulagé de m’en tirer à si bon compte.

A la fin, on a de sublimes paysages en récompense

Et comme le disait un ex-président français avant d’être atteint de démence sénile, les emmerdes, ça vole en escadrille. Nous ne sommes donc pas au bout de nos surprises pour notre retour dans les îles. La suite dans un prochain billet.

(1) Guindeau électrique. Ce mécanisme situé à l’avant du bateau permet de remonter la ligne de mouillage sans effort.
(2) Ancre posée sur son davier

(3) Se mettre à couple : Amarrer un bateau le long d’un autre bateau à l’ancre ou apponté. Système utilisé quand l’espace manque pour s’ancrer ou s’apponter en solo. Pour que ça marche, il est indispensable que ce soit le plus gros/lourd des bateaux qui bénéficie de l’ancre.


6 thoughts on “Perdre son ancre, ça c’est fait !

  1. Heureusement que vous avez retrouver « l’encre », sinon comment auriez vous fait pour nous pondre c’te tartine…Si j’ai bien compris, y a mémé Rion qui s’est fait la malle et du coup l’ancre s’est fait sympathique et comme elle s’est diluée dans son jus et que t’avais oublié le ventilateur sur « on », le bateau s’est mis les bouts….La prochaine fois, achète toi un crayon avec mine de plomb, ça t’évitera tous ces désagréments.
    Des becs

  2. Etonnant. Nous avons un Wasi power ball qui était sur le voilier que nous avons acheté en 2013 et nous passons +- 6 mois/an sur notre bateau en faisant beaucoup de mouillages en Grèce et je peux vous dire que le meltem souffle parfois méchamment. Nous avons une chaîne inox et n’avons jusqu’à présent rencontré aucun problème ! Cela doit être un défaut de fabrication.
    http://meregee.eklablog.com/accueil-c25328068

    1. Merci de votre commentaire, je découvre cet émerillon Wasi Power Ball que je ne connaissais pas. Il me semble bien plus résistant que ce lui que j’avais, le système à rotule permettant sans doute de moindres contraintes à la torsion que l’émerillon pivotant sur son axe. Cordialement.

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