905 miles à la barre !

And then we were three
And then we were three

Nous avons décollé de Las Palmas ce 21 décembre 2015 à 13h20, direction le Cap Vert. Et première grosse erreur dans la foulée… En effet, après 5 heures de navigation, notre pilote automatique nous a lâchement abandonné. Et plutôt que de faire demi-tour pour revenir à Las Palmas (où il y a tout ce qu’il faut pour réparer assez facilement) j’ai pris la décision de continuer sur le Cap Vert, à cause de la météo très favorable qui était annoncée.

A ce moment là...
A ce moment là…
nous étions encore...
…nous étions encore…
en forme !
…en forme !

 

 

 

 

 

 

En effet, nombre de plaisanciers, après trois ou quatre jours de bonne navigation vers Mindelo, sont contraints de faire demi-tour et de remonter sur les Canaries ensuite d’une bascule vent, celui-ci passant de Nord-Nord-Est à Sud ! C’est donc avec cette épée de Damocles sur la tête que j’ai pris ma décision de continuer. Nous nous sommes donc relayés à la barre pendant 6 jours et 5 nuits. A l’ancienne. Evidemment, c’est nettement moins agréable que de pouvoir compter sur le pilote automatique, mais c’est surtout beaucoup plus fatiguant, pour ne pas dire épuisant quand on n’a pas l’habitude de ce rythme de navigation. On se rend compte concrètement de l’apport inestimable de cet équipier silencieux, sobre et discipliné à bord. En navigation longue durée, l’utilisation du pilote se fait naturellement, sans y réfléchir.

_LPM_17

La fatigue n'empêche pas la bonne humeur
Fatigue joyeuse
Brume et nuages
Brume et nuages

On choisit un cap, on appuie sur le bouton « auto » et sans y penser plus, on vaque à ses occupations. Un coup d’oeil de temps en temps pour vérifier que tout va bien, une petite correction du cap choisi en cas de légère dérive ou de variation de la direction du vent et voilà. Puis surviennent les premières alertes. Tiens, le pilote a décroché… On le réenclenche, bizarre, tout a l’air de bien aller. Puis, quelques heures plus tard, nouveau décrochage, et ainsi de suite jusqu’à ce que notre pilote refuse de rester en service plus de trente secondes d’affilée. Dès lors, plus d’autre choix que de se mettre à la barre en permanence.

Pleine lune matinale
Pleine lune matinale
Paolo à la barre
Paolo à la barre
Chère compagne nocturne
Chère compagne nocturne

Avec un équipage de quatre personnes ou plus, ce n’est pas vraiment un problème, on établit des quarts de deux heures qui permettent à chacun de se ménager des plages de récupération conséquentes. C’est une simple question de rythme à trouver entre la durée du quart et celle du temps de repos. Lorsqu’on navigue sous pilote, le rythme de vie à bord se rapproche de celui qu’on a à terre. La journée chacun s’occupe, mange, se repose selon ses envies, la seule contrainte étant, la nuit tombée, d’assurer une veille nocturne. Veille qu’on passe à contrôler visuellement l’environnement de navigation et à s’occuper, par exemple en lisant, en écoutant de la musique ou en admirant le ciel étoilé ou le lever de lune entre un thé et une légère collation. Bref, c’est tranquille, la seule difficulté étant de rester éveillé, surtout lorsque les conditions de navigation sont bonnes.

20 noeuds de vent
20 noeuds de vent
La fatigue se fait sentir
Lassitude

Sans pilote, c’est une autre musique. Le bateau doit être conduit en permanence à la main. Tout le rythme de vie à bord s’en trouve bouleversé. Plus de repas pris en commun, changement radical de la gestion du temps de repos, concentration sensiblement renforcée pendant les quarts où il faut non seulement garder le bateau sur le bon cap, mais aussi contrôler l’environnement et affiner les réglages des voiles. Très vite, la fatigue se fait sentir et après vingt-quatre heures de conduite manuelle, la motivation de chacun à prendre le relais, va commencer à diminuer jusqu’à parfois devenir une véritable corvée. Ce d’autant que les quatre premiers jours, nous avons eu des conditions de vent bien établi à une vingtaine de noeuds dans une mer formée avec des vagues de deux à trois mètres. Des conditions idéales pour Azymuthe qui avançait à presque sept noeuds de moyenne.

Mer rougeoyante
Mer rougeoyante
Concentration nocturne
Concentrations nocturnes
bis
et diurne
et diurne

 

 

 

 

 

 

Mais à cette vitesse dans une telle mer, le travail de barre est loin d’être reposant. Il exige une concentration de chaque instant, il suffit d’une saute d’attention de dix secondes pour que le bateau parte au lof (il remonte brusquement vers le vent en se couchant) dans une grosse vague, entrainant la mauvaise humeur de ceux qui essaient de se reposer, de dormir ou simplement de se faire un café ou de manger quelque chose. Vous l’avez compris, nous avons été bien bousculé pendant quatre jours. D’un autre côté, le travail de barre procure des sensations qu’on ne ressent pas ou nettement moins lorsque sa majesté le pilote automatique fait le boulot à votre place. Dans une mer formée, le bateau danse dans la vague, il ralentit lorsqu’il est dans son creux et accélère lorsqu’il la dévale. Résultat, des accélérations parfois grisantes qui vous conduisent régulièrement à des vitesses de de dix à douze noeuds, avec parfois des pointes à seize noeuds ! Fatiguant, mais magique.

Coucher de lune
Coucher de lune
Concentré on vous dit !
Concentré on vous dit !
905 miles
905 miles

Nous nous sommes donc relayés à la barre pendant cent quarante-neuf heures ! Ici, j’aimerais adresser mes félicitations particulières à Paolo, 15 ans et qui n’avait jamais barré un voilier. Il n’était même jamais monté à bord d’un bateau de plaisance. En quelques heures, il aura réussi l’exploit de s’amariner, de comprendre le maniement d’une barre à roue et de barrer comme un qui aurait des années de navigation derrière lui. Ca n’a l’air de rien, mais certains n’y parviennent jamais. Il a donc pu prendre sa place dans le rythme des quarts nous déchargeant Stéphane et moi, d’un tiers de présence à la barre. Enorme ! Paolo, t’es vraiment un chef !!

Mer de sang
Mer de sang
Somnolence de cockpit
Somnolence de cockpit
et sommeil de carré
et sommeil de carré

Après quatre jours et demi de vent bien établi, nous avons rencontré une zone de calmes et de vents très erratiques en direction. D’habitude, ce genre de situation fait râler le plaisancier qui voit sa moyenne horaire plonger et doit composer avec des airs qui tournent en permanence, quand il y en a. Pour nous ce fut l’occasion de respirer un peu et de prendre du bon temps sur une mer redevenue bien plate sauf une légère houle berçante.

La plus grande piscine du monde
Piscine océanique

Nous avons mis en panne et avons profité de nous baigner au milieu de l’océan. Après toutes ces heures de travail, quelle joie, quel bonheur de plonger dans la plus grande piscine du monde !  A plusieurs centaines de kilomètres de n’importe quelle côte, avec pour seul horizon de l’eau à perte de vue,  barboter dans une eau de plus de vingt degré sous un soleil hivernal, quel privilège. Nous avons dégusté chaque instant de ce relâchement bienvenu, mais trop court. Une heure, c’est ce que nous nous sommes accordés avant de nous remettre en route, au moteur cette fois.

Océan magique
Océan magique
Cuisine acrobatique
Cuisine acrobatique

Les prévisions météo récupérées par la BLU nous avaient indiqué cette zone de calmes assez étendue. Nous avons donc navigué au moteur pendant vingt-quatre heures avant de pouvoir remettre les voiles et continuer notre descente sur Mindelo. Tous ceux qui ont emprunté cette route vous le diront, il est impératif d’arriver dans la baie de Mindelo de jour. Et il faut aussi faire les derniers miles au moteur, tant l’effet d’aspiration peut être violent quand on passe entre les deux îles de Sao Vicente et de Santo Antao. De ce point de vue, nous n’avons pas été déçus. Pourquoi arriver de jour ? Eh bien la baie de Mindelo est un champ de mines parce que parsemée d’épaves qui n’ont pas été renflouées. Sans parler des cargos et autres plaisanciers au mouillage. Ajoutez encore vingt-cinq noeuds de vent et vous avez réuni toutes les conditions pour vous ménager une arrivée nocturne à très haut risque.

Stéphane à la barre dans le soleil couchant
Stéphane dans le soleil couchant
Repas de Noël
Repas de Noël
Au mouillage à Mindelo
Au mouillage à Mindelo

Je n’ai pas regretté les quelques litres de gasoil brûlés, quand, le lendemain buvant le café au bar flottant de la marina, j’ai vu la tête des quatre anglais arrivés de nuit et contraints à tourner en rond devant Mindelo jusqu’au matin. Nous n’avions pas des têtes de vainqueurs après 6 jours de barre, mais eux… Vingt-cinq noeuds de vent, vous dis-je… Lorsque nous avons mouillé dans la baie de Mindelo vers 17h30, heure locale, le 27 décembre, la décompression de l’équipage a été marquée ! Après une nuit de bon sommeil au mouillage, nous avons intégré la marina, avant tout pour des questions de logistique, je dois en effet remplacer mon pilote automatique dont le calculateur (a priori) a rendu l’âme. Cela va nécessiter d’incessants va-et-vient entre le bateau et le réparateur et comme nous sommes à la fin de l’année, les tarifs de la marina baissent de 25%. Elle est certes chère en regard des services proposés, mais je suis suffisamment fatigué pour ne pas avoir envie de me prendre la tête. Dont acte. De plus j’y ai déjà croisé quelques plaisanciers sympa, des Français et des Espagnols pour la plupart. L’occasion d’échanger des impressions de voyage et autres galères techniques. Parce que je ne suis pas le seul à avoir des problèmes. Beaucoup rencontrent des pépins plus ou moins graves et Mindelo est la seule marina de l’archipel à proposer presque toutes les compétences nécessaires à la réparation d’une avarie.

Réveillé
Studieux
Studieux
volant
volant

 

 

 

 

 

 

Et la vie à bord ? Eh bien, partis la fleur au bout de la bôme et d’excellente humeur, nous avons partagé intensément ces six jours et cinq heures, sans trop nous laisser aller à la morosité et à la fatigue, même si cette dernière a naturellement engendré quelques sautes d’humeurs sans conséquence. Compte tenu du rythme des quarts, de la concentration nécessaire à la barre et de la fatigue générée, les échanges ont été sans doute moins fournis que prévus, mais intenses. Avec bien souvent une bonne dose d’humour à la clé. Sans doute différents de ce que j’ai partagé jusqu’ici avec mon premier coéquipier et Joël entre Puerto Calero et Las Palmas. Il est évident que la décharge de la barre permet de mieux se reposer et, partant, de trouver plus de moments de discussion d’échanges ou de contemplation. En revanche, la fatigue porte à l’introspection et au vagabondage de l’âme. Différent et instructif.

Fatigué
Fatigué
Rigolard
Rigolard
Heureux
Heureux

 

 

 

 

 

 

Malgré la fatigue, mes coéquipiers durant cette descente sur Cabo Verde ont quitté mon bord ce matin plutôt contents de leur expérience. Nous devions poursuivre ensemble jusqu’à Praia, mais comme je suis bloqué ici jusqu’à réparation de mon pilote automatique, ils ont dû prendre un vol intérieur et se prélassent actuellement sur une superbe plage devant leur hôtel.

Eprouvé
Eprouvé
Didactique
Didactique
Relax
Relax

 

 

 

 

 

 

Merci les gars, bon retour en métropole, je garde un souvenir étoilé de votre présence à bord ! Quant à moi, je vais profiter de cette trêve pour me ressourcer et bien me reposer avant l’arrivée de Fabrice mercredi prochain 6 janvier. Et aussi remettre en état deux ou trois petites choses sur le bateau.

Sao Vicente
Sao Vicente

Je vous souhaite un excellent réveillon de fin d’année et me réjouis de vous retrouver en pleine forme l’an prochain.

La baie de Mindelo au crépuscule
La baie de Mindelo au crépuscule, fin d’année en pente douce …

8 thoughts on “905 miles à la barre !

  1. Bien joué, les matelots: bravissimo!
    Un satisfecit particulier pour Paolo: j’avais bien vu qu’il était loin d’être
    bête, ce garçon. Avec de telles facultés d’adaptation et d’apprentissage, il fera ce qu’il voudra dans la vie, avec ou sans études (il ne faut pas le lui dire, hein, au sujet des études…).
    Santé: comment va ton infection?
    Sécurité: sur la photo de Paolo qui dort dans le carré, on voit un couteau sur la table qui n’a envie que de le blesser en cas de coup de gîte bâbord!
    Je te souhaite une très belle année 2016 en mer, mon cher Olivier!!

  2. Une fois de plus, une fois encore un merci pour ton texte, tes nouvelles, que cette j ai bu avec bien plus d émotion, les larmes aux yeux……..ok trève de sentimentalisme, mais lorsque que l’on comprend ce que vous avez vécus! traversés, eh bien je suis plus qu heureuse de vous savoir tous arrivés!! Merci là au milieu de me faire rêver encore, merci pour les belles images. Que tu puisses alors te reposer, te ressourcer, afin d avoir les forces d affronter cette partie logistique. Bien en pensées, je t embrasse

  3. Salut Oli
    Merci pour ce message où l’impondérable amène du sel à ton aventure. Tu pensais quand même pas glander 24 sur 24 ?!? Ou bien !?!
    C’est pas parce-que tu est un peu chiant que même ton pilote automatique s’est fait la malle ???
    Aller, je t’embrasse , mon ami, et te souhaite encore pleins d’aventures enrichissantes.

  4. Alors Oli, une merveilleuse année s’annonce…
    Ne nous fais pas trop de coup de stress, on envie de se boire un bon coup sans complications cardiaques!
    Des gros smacks plein d’encouragement et de souhaits pour ce nouvel air….
    Rachel & tribu

    1. Merci Daniel !
      Oui, le lien est super intéressant ! D’ailleurs, actuellement, l’énorme dépression qui se balade au centre de l’Atlantique nous coupe la route vers les Antilles… Nous sommes en « stand-by » jusqu’à dimanche probablement… Cordialement bien à toi.

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